samedi 29 novembre 2008

.../MÉDIA(T)TISER/...

Le medium est ce qui aide à passer de l'un à l'autre. Il est un transfert, une forme temporaire dont le but est de prolonger une information perçue en un point vers un autre point, un ailleurs, un tiers. Cependant, le medium n'est pas seulement tributaire d'un message à délivrer, il s'avère aussi une matière à travailler au corps. Il faut lui trouver une voix propre.
Là se scinde la trajectoire médiatique en ce qui constitue vraisemblablement deux possibles de l'intermédiaire : le medium communicationnel de masse et le medium artistique qui se prête plus ou moins à une diffusion généralisée.
L'un se cristallise sous forme de câbles électrifiés, ondes, fibres optiques, écrans soumis aux impacts d'électrons, et se concentre alors sur la rapidité de délivrance du message. L'information mass-médiatisée se consomme encore chaude de ses transits électriques, pour disparaître aussitôt, supplantée par ses nouvelles consoeurs qui arrivent. La guerre des images s'amorce, une lutte pour celle qui parviendra à assurer son monopole sur le medium.
Qu'est-ce qu'opère un art qui récupère ce type de production de l'information pour son propre medium ? Parvient-il à en faire une évaluation critique ? À le dévier de sa forme initiale vers un autre type de forme, chargé d'un autre affect ?
Il semble que dans une position d'urgence de la création, la confrontation des deux media provoque une abrasion : des étincelles surgissent de la manipulation de l'un pour le faire devenir autre. Jusqu'à ce que feu s'ensuive. En accentuant les aspects efficaces et aiguisés de l'informationnel, pour qu'ils frappent dans leur inanité, leur vulgarité, leur indécence, le processus artistique attise autant la matière que le medium. L'urgence paraît pousser à un autodafé des images consommables, une média(t)tisation des voies de la communication de masse.

jeudi 27 novembre 2008

.../LE SITE_LE NOM_LE VERBE/...

ColoneL 065 par vous

Dans l'immensité de l'espace, à partir d'où y a-t-il lieu, y a-t-il site ?
Les frontières - physiques, culturelles, métaphoriques - aident à cerner l'informe de la matière spatiale : elles nous permettent de saisir par l'esprit un morceau de monde qui resterait autrement difficilement pénétrable et compréhensible. Le lieu est de cet ordre, lorsqu'une quantité d'espace se trouve délimitée par des paramètres propres aux activités des groupes humains. Une aire climatique, un État organisé selon un régime politique, un nom de rue, un bar de quartier, une école... L'espace est une superposition d'actions investies selon diverses préoccupations ou significations. Ces actions se croisent, s'interpénètrent. Se réunissent parfois, ou bien encore peuvent devenir l'enjeu d'un conflit. Le lieu émerge donc de la continuité de l'espace en marquant une rupture qui le distingue.
Comment fixer rendez-vous sans avoir recours à l'identification d'un lieu ? Et que devient ce lieu si le rendez-vous qui s'y déroule procède d'une réunion d'individus volontaires pour l'animer à chaque fois d'un sens nouveau ?
Le site se place dans cet interstice de la nomenclature des espaces : il est une plate-forme reconnue par les divers acteurs qui vont l'investir pour y développer une identité particulière au moment présent et intentionnellement organisée. Une plate-forme d'accueil, mobile et labile,
qui se caractérise par sa capacité à rendre visible ce qui se diluait dans le flux global.
En même temps que sont reconnus les paramètres qui confèrent une existence en soi au site survient la question de l'énonciation : pour donner existence au site, il faut pouvoir le nommer. Donner un nom, c'est reconnaître la particularité d'un élément dans la concrétion du monde. Le nom distingue et il donne vie ; parce qu'il implique qu'on ait besoin de s'y référer, de l'inscrire dans une histoire. Dans la nomenclature des noms, le nom propre détient un statut spécial, fait d'absolu. Il marque une entité comme distincte et unique.

« Le signe absolu possède une signification avant tout spatiale et personnelle » (Walter Benjamin, Sur la peinture, ou : Signe et tache)

Le nom propre, celui qu'on donne à une personne, ne signifie rien d'autre que cet être humain participant à l'histoire de l'humanité, à cet instant là, à cet endroit là. Un signe inventé par les humains pour eux-mêmes, dans l'espoir de s'identifier chacun selon un dessein propre.
Qu'arrive-t-il alors à la personne lorsque son nom est perdu, refusé, in-ouï (non entendu, donc inconnu) ?
Un corps allongé sur une grille d'aération du métro, la masse des manifestants derrière diverses bannières, un individu exilé en terrain étranger. Pour que ces noms - noms communs, noms propres et signes des inconnus [X] - retrouvent une présence effective, une place distinguable dans l'agglomération du réel, il ne suffit pas de les énoncer. Il faut aussi leur donner une part de performativité : le nom gagnera la plénitude de son sens lorsqu'il sera conjugué aux mots de l'action. Les verbes. Par les verbes, l'ensemble des morceaux nommés du monde se rencontrent, s'affrontent et génèrent. La communauté humaine engendre son existence par l'exercice de sa parole. Le verbe est une machine à créer de l'énergie et de l'inférence.

En ouvrant un site à l'énonciation des noms (tous les noms, même ceux reniés ou inconnus) composant le monde, il est offert une chance à la parole de trouver une forme d'existence inédite, plus proche de la fraction décisive du sens de chacun à chaque instant.

P1010983 par vous
Kim Lien Desault "lecture"
ER Paris J13 - 20/11/2008

mercredi 19 novembre 2008

.../POURQUOI ÊTRE NIETZSCHÉEN AUJOURD'HUI/...

En trouvant une forme de réaction à travers le façonnage et la présence de l'objet/oeuvre, il s'agit de rendre tangible un phénomène sensible perdu.
Créer pour contre-carrer l'aptitude accélérée de nos sociétés contemporaines à oublier, négliger, dissimuler. Noyer.
Cette résurgence informationnelle doit alors résonner comme un coup de tonnerre; plus qu'un électron libre, un électrochoc afin de réanimer les ombres qui s'alignent à la division du travail. L'éclat foudroyant, lié à l'instant, projette son énergie au delà de toute évaluation qualitative. Sa fulgurance est le meilleur gage d'atteindre une réunification des fragments épars de nos réels (formatés, compressés, dispatchés). Réunification contingente et temporaire. Non garantie. Le risque est à prendre.

Le risque.

Enjamber le vide pour découvrir dans l'urgence de la situation qu'un pont inattendu se tenait là, un soubresaut d'énergie vitale, d'individualité physique, de volonté singulière qui nous sauve des aliénations maquillées aux paillettes synthétiques.

lundi 17 novembre 2008

.../COMMENT ÊTRE NIETZSCHÉEN AUJOURD'HUI ?/...

Eric Baudelaire & Kiêù Nguyen Duong "13/1000 Grues" par vous
Eric Baudelaire & Kiêù Nguyen Duong
"13/1000 grues"
origami présentés dans ER le 15 novembre


Il y a l'ironie, le décadrage. Fracasser le socle pour laisser tomber l'objet au sol, en ce qui deviendra sa place, temporaire, mobile. Et une déflagration/dégradation programmée. Toujours, encore, la fabrique du néant, du presque rien, du si peu de chose. Mais présent tout de même dans un pli du réel : les ailes du papillon, les grues migrant vers Hiroshima, un origami baroque.

« tuons l'esprit de la pesanteur ! » (Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)

Il y a le conflit, l'opposition. Affronter la face d'un espace-temps, d'une image, d'une parole qui subordonne les énergies individuelles. L'écran, le support, la toile peuvent soutenir un élan allant contre, à contre-courant de la voie commune.
Et puis il y a aussi le corps dont il faut chercher à préserver l'intégrité. Dans l'acte de création, le corps s'ex-prime : il va au-devant de soi pour rendre effectif ce qu'il a reçu en lui. Dans une forme unique.

Travailler la matière sans avoir peur de se salir les mains.

Emeline Eudes, le 17 novembre 2008

samedi 15 novembre 2008

.../LE SENSIBLE/...

La réalité du monde s'exprime pour les êtres vivants de toute espèce par sa/ses qualité(s) sensible(s). C'est-à-dire que le monde n'est pas sensible ou sensibilité en lui-même, mais il prend corps pour nous, êtres vivants, à travers nos capacités à le percevoir et à se sentir atteint par lui, en nous. Nous sommes sensibles au monde et nous vivons à travers/par cette sensibilité.
Alors s'amorce la lutte de chacun pour conquérir sa propre part du sensible et lui donner sens. Aussitôt qu'il est perçu, senti, le monde prend sens : il nous inflige joie, peine, curiosité, découverte, incompréhension, ressentiment... Chaque entité vivante construit son monde à partir du sens que va recouvrir pour elle ses expériences sensibles. Et tenter de l'établir en tant que système.

Les pratiques esthétiques et le travail participent ensemble à « une recomposition du paysage du visible, du rapport entre le faire, l'être, le voir et le dire ». (Jacques Rancière, Le partage du sensible)
Dans l'exercice du partage du sensible, et donc de la répartition des pouvoirs, il y a le risque de devenir insensible. Que le monde n'existe plus dans sa dimension sensible, mais factuelle. Le cours de la bourse, les transactions financières mondiales, la litanie des informations télévisées, le flot des images, les discours institutionnalisés.

L'expérience esthétique comme résistance à l'insensibilité des forces de partage des pouvoirs.

Emeline Eudes, le 14/11/2008

.../CHEAP AESTHETICS/...

Produire une énergie, un mouvement, plutôt que travailler à constituer une fin.
L'oeuvre du présent ne s'incarne pas dans un objet mais dans l'empressement à percevoir la matière sensible, à cet instant là, ici, là-bas, partout.
Recueillir et faire transiter l'information, non pas la fixer. Le passage du flux laisse des traces, bribes de matière impressionnées - pressées en leur chair même par l'énergie déployée.
Alors le travail se débarrasse des scories du jugement de goût pour se concentrer sur l'instant en soi, dans son infinitude même. La matière du présent est par essence éphémère, périssable et inaboutie. A travers l'urgence, se donner la chance de passer outre la mesure et la norme. Donner lieu à une esthétique du 'cheap', une expérience 'low cost' du matériau pour libérer le réel de l'appareillage normatif globalisé.

Emeline Eudes, le 11/11/2008