mardi 16 décembre 2008

.../BRANLETTE/...

Il serait intéressant de se demander jusque dans quelle mesure la branlette pourrait constituer une catégorie esthétique pertinente dans la discussion des travaux artistiques de l'ère de la globalisation. Voire de l'ère apathique.
La mimesis (photographique) nous renvoie de nos jours un reflet inquiétant et saturé d'anthropocentrisme. Le beau est englué dans les effets de surface. Le sensible ignoré. Le tragique prête à rire, l'ironie tend à se dévaluer (trop d'ironie tue l'ironie - Jean-François Lyotard et le post-moderne enterrés). Reste la branlette, donc, marquant une ère nouvelle d'expression issue du quasi-échec de la démocratie à se réaliser.
Les sociétés occidentales modernes ont voulu y croire très fort, investies qu'elles étaient de leur mission d'éducation. Mais l'envolée a pris une curieuse orientation, rattrapée par l'image et la capacité de ce medium à aspirer l'attention du spectateur. Car pour préparer l'ère de la
branlette, il y a d'abord eu l'ère du spectateur. L'instrument technologique et l'instrumentalisation idéologique se sont mis à voisiner de trop près pour laisser une chance au spectateur d'être moins témoin apathique qu'acteur d'un monde désirable sous toutes ses facettes (à ce propos, la boule disco s'avère un objet symptomatique de ce monde où les multiples facettes renvoient à l'extérieur, détournant l'attention de l'intérieur de l'objet, qui révèle finalement un vide proche du néant). La télévision, les 'blockbusters' hollywoodiens et Facebook aident à polir les apparences bienveillantes, faire croire qu'on a un rôle de premier ordre à jouer. Dans ce jeu des images, il est devenu plus important d'opérer sa plus-value personnelle que de tenter l'expérience de franchir la limite du décor. (doute passager : The Truman Show est-il un film hollywoodien ?... après vérification, The Truman Show est bel et bien un film hollywoodien. Pas de salut pour la révolte, elle est tôt ou tard l'objet d'une récupération. Très tôt, même, en ces jours d'information en temps réel.)
Ainsi l'économie de marché, en nous rendant les choix possibles non pas à l'infini mais à l'épaisseur de notre porte-monnaie, nous a endormis, trop occupés qu'on était à courir après les sous à mettre dans le porte-monnaie, et contribuant par là même à brouiller l'ordre des priorités. La satisfaction individuelle comme but à atteindre est devenue le produit star en tête de gondole des supermarchés du pop.
"Achetez notre branlette dernier-cri et devenez le roi ou la reine du cool !"

Dur à remettre en cause, alors, la branlette ?

Déclarer l'état d'urgence peut probablement aider, dans un premier temps, à rétablir l'ordre des priorités, celles essentielles au vivant. Au delà de soi.

(je tiens à remercier les artistes de l'Emergency Room-Paris pour avoir su pointer avec tact le coeur du problème, dont le titre de cette chronique se fait écho)

lundi 8 décembre 2008

.../LE DÉCHET_LA VALEUR/... (chronique dédiée aux collections fluctuantes du musée du retard)

Guillaume Dimanche
'sans titre'
(arbuste prélevé dans un espace vert parisien)

Le déchet est de l'ordre de l'indésirable. Il est cet amas de matière qui reste sans usage, sans forme susceptible d'induire un sens qui nous intéresse. Le déchet possède donc, malgré notre souhait de le rejeter et de le voir disparaître, une existence concrète. Le déchet est, et c'est
bien là que réside notre malaise : il nous impose sa présence, en dehors de nous et pourtant souvent induit par nous.
Alors que faire du déchet ?
Justement parce qu'il nous dérange, ne pourrait-il être un objet d'intérêt, tout spécialement dans une société si pressée d'avoir, de faire usage, et par conséquent de produire ces indésirables ? Dans l'ère de la célébration du présent, ce qui est passé de date (informations, nourritures), de mode (vêtements, décorations, langages) ne dispose plus d'espace de visibilité et vientencombrer de façon intempestive d'autres espaces qui ne les ont jamais souhaités. L'écologie environnementale propose un type de solution qui vise à réemployer le déchet dans un autre contexte pour lui donner un nouveau sens, une nouvelle fonction. Le voici alors réinvesti d'une valeur.

"everything is valuable. nothing is useless." (Krešimir Popović, artiste)

Le musée du retard agit en quelque sorte selon ce programme. Il est un espace d'accueil pour une foule d'objets issus de contextes géographiques et culturels multiples et dont la date de péremption est arrivée à terme. Alors qu'ils n'ont plus lieu d'être, le musée du retard leur offre un lieu 'd'être-encore'. Isolés un par un, ces objets possèdent la singularité de leur auteur et de leur lieu d'émergence. Confrontés les uns aux autres, ils élaborent une communauté d'existence en marge de ce qui est normalement digne d'être archivé. À travers eux se dessinent les typologies sensibles de la fabrication des informations vite diffusables, vite assimilables, vite oubliées. Des typologies qui persistent dans leur présence afin de faire apparaître les réflexes médiatiques à l'oeuvre dans nos sociétés contemporaines et à venir. Un musée du retard pour inaugurer les gestes futurs.

"L'essence d'un objet a quelque rapport avec son déchet : non pas forcément ce qui reste après qu'on en a usé, mais ce qui est jeté hors de l'usage." (Roland Barthes, Cy Twombly. Non multa sed multum)

Ce musée là nous donne à voir et à penser ce qui côtoie la limite de l'usage, de l'habitude, de la norme. Voire son en-dehors. Il est une porte ouverte sur un espace de contestation de l'objet passé devenu déchet. Un lieu d'existence des formes, quelles qu'elles soient, qui prennent
leur valeur dans une reconnaissance progressive de nos indésirables.

jeudi 4 décembre 2008

.../SYMBOLE/...

P1020372 par vous
Pauline Bastard
"Relance"
(guirlande)

Le monde est signe pour l'ensemble des êtres vivants. Ces derniers réagissent en fonction des phénomènes perçus autour d'eux, transformant ces événements, par leurs réactions adaptées, en supports d'interprétation, c'est-à-dire en signes. Parmi ces êtres, les humains ont développé un système complexe de signes, soumis à des régimes de compréhension diversifiés. Le symbole fait partie de cette famille. Pour le définir de façon globale, on considérera qu'il s'agit d'un signe dont l'interprétation repose sur une convention entre les personnes qui l'utilisent. Autrement dit, il possède un caractère arbitraire, puisque l'accord sur lequel il repose est déterminé par le milieu culturel dans lequel il est émis.
Par delà la définition se trouve l'usage. Et l'usage des symboles abonde dans les sociétés humaines. Enjeu de différentes applications, le symbole se retrouve aussi bien dans le langage verbal que la musique, les régimes politiques ou encore les pratiques religieuses. Il travaille à
désigner des sens précis, des émotions particulières, des objets de cohésion, de pouvoir, d'autorité. Il induit de plus une reconnaissance mutuelle entre les personnes qui s'en servent.
Qu'advient-il du symbole, dans sa globalité, lorsque celui-ci est l'objet d'une fabrication artistique répétée, exposé aux injonctions de l'urgence et de l'instantanéité ? Quelle(s) propriété(s) doi(ven)t être mise(s) en avant ? Comment l'artiste va-t-il opérer ses choix ?

Dans la société occidentale, issue d'une élaboration historique du pouvoir par l'instrumentalisation de l'image, le symbole visuel occupe une place prépondérante. Il possède un impact de l'instant, que nous sommes entraînés à percevoir. C'est alors au niveau de la codification que les possibles surviennent et qu'il faut trancher : quel registre émotionnel viser, quel matériau sera le plus adéquat à incarner ce registre, quel(s) code(s) culturel(s) sous-entendre (afin d'aider au déchiffrement instinctif par le spectateur) ?
La fabrique du symbole à des fins artistiques a cette spécificité de devoir compter sur l'intuition, l'imagination et la curiosité du spectateur. Il est un symbole en attente d'acceptation, de compréhension. Non pas déjà établi par des siècles d'utilisation, mais lancé dans le présent avec une part de doute, d'enthousiasme et de singularité. Peut-être parce qu'il reste lié à son auteur, le symbole auquel ont recours les artistes de l'urgence ne peut devenir une convention, déterminé par les sens en alerte - alertés - de son concepteur. Peut-être parce qu'il voisine avec le risque de l'incompréhension, ce type de symbole prend l'apparence d'une dégénérescence du langage. Mais investi en même temps par la possibilité de réanimer les domaines du sens délaissés par une volonté totalisante d'orientation des regards.